Slate.fr
Text by Fanny Arlandis
french, 2018
À Tchernobyl, le temps s’est arrêté en 1986
Après la catastrophe nucléaire de Tchernobyl en 1986, des milliers de kilomètres carrés sont devenus inhabitables. Leurs habitantes et habitants ont dû fuir dans la précipitation, sans même avoir le temps de prendre leurs affaires personnelles –et notamment leurs photos. Depuis 2015, le photographe ukrainien Maxim Donduyk a entrepris de rassembler et de restaurer ces images trouvées dans les maisons et les bâtiments de la région contaminée. «Avec ce projet, explique-t-il, je veux montrer la vie heureuse et pleine d’amour des gens de la région avant qu’elle ne soit absorbée par le nuage radioactif. Je veux montrer l’autre côté de Tchernobyl, l’histoire avant la tragédie, comment et qui vivait là-bas.»
«Ce travail ne ressemble à aucun autre de mes projets. Avant, j’étais toujours l’auteur des photos. Le projet Tchernobyl est le premier pour lequel j’ai fait le choix de mettre en avant des photos trouvées, que je n’ai pas réalisées moi-même.»
«En 2008, j’ai visité pour la première fois la zone de Tchernobyl. J’y suis allé en tant que photojournaliste, envoyé là-bas pour une mission. Jusqu’à la fin de l’année 2010, j’ai continué à y revenir, pour différents travaux. J’étais totalement fasciné par l’endroit, les maisons abandonnées à la hâte et la nature recouvrant progressivement les traces humaines.»
«Je suis revenu dans la région en 2015, après avoir couvert la révolution et la guerre en Ukraine. À Tchernobyl, je ressentais et voyais les choses différemment. Je ne cherchais plus à faire de reportage; j’étais intéressé par la contemplation et l’exploration visuelle de la zone que j’avais déjà photographiée.»
«Je m’intéressais aux bâtiments, aux maisons rurales à l’architecture singulière et aux traces d’installations militaires. J’ai commencé à être fasciné par les paysages, qui peuvent parfois en dire beaucoup plus sur ce qui s’est passé que les faits en eux-mêmes. J’ai mené un autre projet, intitulé “Entre la vie et la mort”, où j’ai utilisé la même approche visuelle. Les ruines laissées par la guerre, à mon avis, montrent beaucoup plus son horreur que les événements sanglants survenus en 2014.»
«Dans la zone de Tchernobyl, presque toutes les maisons et les monuments détruits portent en eux-mêmes le souvenir de l’époque antérieure à la catastrophe. C’est ce qui m’attire, et me ramène plus de trente ans en arrière. Après tout, le temps s’est arrêté ici en 1986, à l’ère de l’Union soviétique. Lettres, meubles, architecture: tout était figé dans le temps. Et c’est fascinant, même si je suis évidemment contre ce qu’a fait le gouvernement soviétique à l’époque.»
«Là-bas, tout me rappelle le pays où je suis né. De temps en temps, je trouvais des lettres et des photos de personnes qui vivaient dans ces régions, et cela m’a incité à vouloir en apprendre le plus possible sur la vie à Tchernobyl avant l’explosion et à sauvegarder ces objets visuels et historiques. Je ne m’attendais pas à trouver un tel nombre de photos.»
«J’ai été étonné de voir comment le gouvernement soviétique avait évacué ces personnes. Il leur a promis qu’elles allaient pouvoir revenir quelques jours plus tard et qu’il n’était donc pas nécessaire de prendre avec elles des choses inestimables, telles que des lettres, des photos de parents ou d’amis. Imaginez que toutes les photos de votre famille disparaissent pour toujours, et qu’il vous soit impossible de garder ces souvenirs avec vous.»
«Ce projet ressemble à une fouille archéologique. Aucun de ces objets n’était proprement posé sur une table ou une étagère. Une épaisse couche de boue et de déchets les recouvraient, dans des maisons abandonnées et presque détruites. Les photos étaient par terre, sous des meubles brisés, partout.»
«J’ai évidemment dû restaurer les images. La plupart étaient abîmées. J’ai tout lavé, séché et scanné. Certains films ont été détruits par le nettoyage. Pour le moment, j’ai fini l’étape des scans. J’ai aussi trouvé des affiches de cinéma, des lettres, des cartes postales ou des films. Le travail qui reste à accomplir est titanesque.»
«Pour tout le monde, Tchernobyl n’est associée qu’à la tragédie de la centrale nucléaire et à ses conséquences. Je suis farouchement opposé aux centrales nucléaires, je pense qu’elles nuisent à notre planète et à sa population.»
«En plus de trente ans, aucune organisation gouvernementale ni aucun musée d’Ukraine n’a essayé de faire quelque chose pour sauver une histoire aussi inestimable. Je souhaiterais désormais retrouver les personnes qui figurent sur les photos. Je voudrais créer un site où les gens pourraient trouver sur une carte les maisons dans lesquelles ils vivaient, trouver leurs proches ou eux-mêmes sur des photos et télécharger des archives numériques. Mon frère Nikolai Dondyuk, réalisateur de documentaires, m’a rejoint dans ce projet et a commencé à tourner un film sur cette histoire.»